Lettre-poème de Marcel Proust à Louisa de Mornand
2. Lettre-poème de Marcel Proust à Louisa de Mornand
Lettre – poème de remerciement de Marcel Proust à Louisa de Mornand qui vient de lui envoyer sa photographie avec ces quelques mots :
« L’Original qui aime bien le petit Marcel ».
Louisa
Avril 1904
Lettre de Marcel PROUST :
Pour Louisa
(Le ciel de lit couleur de ciel,
L’ange de lit couleur de rose)
Couleur de ciel, le ciel du lit,
Azur strié de nuée blanche,
Flotte sur Louisa qui lit
Avant de dormir, sur la hanche.
Son attention certes faiblit :
Sa tête sommeilleuse penche,
Regardant sans voir une branche
Que Madeleine Lemaire pinxit.
Sous prétexte que c’est dimanche
Marcel Proust, dans ce paradis
Duquel un ange se penche,
Est tant resté… que c’est lundi !
Du calice le plus pur de la manche
(Du tissu le plus fin ourdi)
D’un geste beau quoique engourdi
Le bras de Louisa, tige blanche
S’évase, monte, et resplendit.
Si j’ai dit qu’un ange se penche
De ce paradis si troublant,
Descendant du ciel bleu et blanc
Sur la vierge rose et blanche,
Je me suis sans doute mépris
Car c’est deux amours de Sèvres
Qui délicieux et surpris
Regardent s’unir des lèvres
Et deux cœurs qui se sont compris.
L’huis du salon entr’ouvert
Laisse voir la tenture rouge…
Le bleu de Tunis semble vert…
Le lit est bleu, le salon rouge
L’on n’entend plus rien qui bouge
Cher écrin de pourpre et d’azur
Tu renfermes une perle rose.
Je suis fou de ma photographie. Il me semble que ce que vous avez écrit pour me faire plaisir deviendra pour moi une réalité et sera capable de fixer mon cœur changeant. En attendant jamais enfant à qui on vient de donner sa première poupée n’est aussi content que moi.
Votre reconnaissant
Marcel Proust
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